Les dessins de Lucy Watts fusent sur les pages comme des traits d’esprit. Quelques lignes au feutre noir indiquent qu’elle dessine vite, et beaucoup. Elle scanne quelques fois ses dessins et les colorise à l’ordinateur. L’influence de Glen Baxter, de David Shrigley ou de Dan Perjovschi se lit évidemment ; les dessins d’Arnaud Labelle-Rojoux ne sont pas loin non plus. Lucy Watts pratique aussi la vidéo et la photographie. Bien qu’elle montre ces images en tant que telles, elles lui servent le plus souvent d’aide-mémoire pour dessiner, pour retrouver des situations qu’elle n’avait pas saisies sur le vif.
Chaque scène est presque toujours accompagnée d’un titre, de phrases courtes, ou d’un véritable texte, dans une langue toujours précise, tranchante et sèche. De ses origines anglaises que son nom révèle, Lucy Watts garde un humour pince-sans-rire qui se traduit dans des traits froids et sobres. Nourrie par les films des Monty Python, elle a fondé la Society For Putting Humor Back Into Art (SFPHBIA). Ses origines françaises la conduisent plutôt vers la caricature et vers l’humour absurde d’Alphonse Allais ou d’Alfred Jarry. En regardant ses œuvres, on pense alternativement à des dessins de presse, à des illustrations, ou à des bandes dessinées.
Lucy Watts dessine à même le mur, ou sur des feuilles libres qu’elle punaise au mur. Les cadres sont rares, peu adaptés (comme la peinture, dit-elle) à la spontanéité de ses dessins, à leur légèreté aussi – la légèreté qui permet de parler de choses sérieuses. Avec des objets qu’elle qualifie d’« archéologiques », ou avec une vidéo, ses dessins composent des installations. Par exemple, pour son Fish&Chips Museum, réalisé à la suite d’une résidence au Pays de Galles, elle présente des dessins, une vidéo et son story-board. Lucy Watts a un goût très fort pour les publications, journaux et livres dont elle a déjà réalisé un certain nombre. C’est peut-être l’abondance de sa production et la nature de ses dessins, propices à être distribués, qui l’a conduite, entre autres, au format du livre.
Lucy Watts parle toujours de notre société contemporaine, elle dit qu’elle n’invente jamais les situations. Certains dessins font référence au taux d’élucidation des crimes par la police, sous la forme de diagrammes en « camembert » dessinés à main levée. Leur côté « fait main » trahit l’illusion de maîtrise (et de classement) qu’ils représentent. L’histoire de l’art, ou plutôt le monde de l’art est aussi très présent, comme cette hilarante course de chevaux entre Daniel Templon, Emmanuel Perottin, Yvon Lambert et Thaddaeus Ropac transformés en jockeys pour l’occasion. Parfois, on se dit que Lucy Watts exagère. Le Museum of Bad Art (MoBA), qu’elle représente, semble bien irréaliste, et pourtant il existe aux Etats-Unis. Elle dessine la réalité. Dans un film, on n’y aurait pas cru.
Anaël Pigeat
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